5e: Musique, intention et mémoire (Ad Mortem Festinamus, Libre Vermell de Montserrat, Moyen Age)

Dans cette séquence nous allons étudier des chansons du Moyen âge. Nous nous intéresserons à des oeuvres anciennes pour lesquelles les indications sur les partitions (lorsqu'il y en a une) sont parfois assez succintes, et aux divers arrangements que les groupes de musique ancienne peuvent leur octroyer pour perpétuer la tradition et maintenir la mémoire de ce répertoire.

Notre question d'étude est donc : Comment restituer au mieux une oeuvre ancienne en l’absence d’indications précises ?
à travers les domaines du temps et du rythme, du successif et du simultané.

Projet musical : Ad Mortem Festinamus (virelai monodique extrait du Llibre vermell de Montserrat). Nous interprèterons ce chant en 3 groupes, accompagnés d'un ostinato aux percussions. La chanson est écrite dans une mesure à 3 temps, et utilise le rythme trochaïque (une longue suivie d'une brève). Voici la traduction du texte latin.

LE VIRELAI : C'est un poème à forme fixe apparu vers la fin du XIIIe siècle avec un nombre variable de strophes à deux rimes. L’un de ses vers sert de refrain (ici, ad mortem festinamus, peccare desistamus). Le mot vient de « lai » (tourner) qui évoque à la fois la danse et le refrain. Son origine serait hispano-arabe. La forme type du virelai est A-B-B’-A’-A.
Un refrain, 2 couplets de texte différent mais dont la musique est identique, un refrain de texte différent mais dont la musique est identique au premier, suivi de la reprise du refrain initial.

Le LLIBRE VERMELL DE MONTSERRAT est un recueil de textes religieux anonymes rassemblés et copiés au XIVe siècle par les moines de l’abbaye de Montserrat, en Catalogne, qui était un haut lieu de pèlerinage dédié à la Vierge Noire (Morenata). Les moines avaient étudié la musique et créèrent leur propre graphie dans l’esprit de l’Ars Nova (notation carrée du plain-chant et utilisation des modes grégoriens). Les chants étaient destinés à la foule de pèlerins pour qu’ils puissent chanter et danser sans offenser l’esprit du lieu de prière. Mélange de musique profane et de musique religieuse, le recueil de 10 chants (beaucoup de partitions furent perdues lors d’un incendie en 1811 pendant les guerres napoléoniennes) intègre les trois cultures, musulmane, chrétienne et juive qui constituent l’identité ibérique. Les textes étaient écrits en latin ou en catalan, à l’exception de cette pièce qui était une danse macabre ce qui vient  nous rappeler que le XIVe siècle fut aussi celui de la Grande Peste et de la Guerre de Cent ans.

La danse macabre est une chanson à danser que les pèlerins interprètent comme une ronde (danse en cercle, où l’on se donne la main) : ball a redon en catalan.Le texte était connu depuis 1267 en France et en Irlande. Dans cette période où la Guerre, les famines et la Peste font des ravages parmi l’Europe, les artistes représentent la Mort sous forme de squelettes qui dansent et appellent à eux toutes sortes de personnages, quel que soit leur statut social.

De même, les Vanités, au XVIIe siècle, sont des sortes de natures mortes dans lesquelles se côtoient des objets quotidiens et des crânes humains, nous rappellent la fragilité et la vanité de la vie humaine. Ci-contre, une vanité d'Evert Collier, peintre néerlandais(1640-1710)

Un petit encart sur l'évolution de la notation musicale : Les chants du recueil sont écrits sur une portée de 4 lignes (qui deviendront bientôt 5), avec des notes de forme carrée (qui se transformeront en losange, et l’on emploie deux couleurs. Les instruments, les nuances, les rythmes et le tempo ne sont pas indiqués. Pour pouvoir interpréter la musique médiévale, les musiciens peuvent s’appuyer sur la tradition orale transmise de génération en génération (celle des ménestrels et des moines), mais aussi sur des documents anciens (textes ou iconographie, fouilles archéologiques) conservés dans les bibliothèques, des musées ou par des collectionneurs et s’en inspirer.

Nous écouterons tout d'abord la version du groupe MICROLOGUS, groupe de musique médiévale italien fondé en 1984.

L'effectif instrumental et vocal est le suivant : Des voix d’hommes et de femmes, des parties chantées en soliste ou en groupe de voix égales ou mixtes. Le chant est accompagné par des instruments anciens (instrument à percussion et une flûte). C’est une monodie accompagnée (les voix lorsqu’elles chantent ensemble, chantent la même mélodie – à l’unisson). A la fin, elles chantent en dialogue (chant responsorial), et des voix tiennent un bourdon sous le chant. Les voix sont accompagnées par un ostinato de percussion. La flûte introduit, ou double les voix.
Nous analyserons la structure d'une strophe en particulier. Puis nous comparerons avec le découpage de la dernière strophe du chant, différemment organisé. 
Nous comparerons cette musique avec le chant  In Nativite Domini (Introïtus : Dominus Dixit ad me), chant grégorien (musique sacrée)  pour le temps de Noël. Les questions que nous nous posons : La mélodie est-elle indiquée sur la partition ? Le rythme est-il spécifié ? Retrouve-t-on un découpage particulier ? Le chœur est uniquement composé d’hommes, qui chantent a capella (effet de résonance dû au lieu d’enregistrement). la Mélodie est simple, en notes conjointes, découpée en petites séquences qui se terminent par une pause, dans un temps lisse, len latin.

Nous allons ensuite comparer en faisant un tableau d'autres versions du même chant (à travers l'étude d'une strophe et de la strophe finale - voir fiches).
Celle de  Jordi Savall et de l'ensemble Hesperion XXI. Ensemble formé en Suisse en 1974 par Jordi savall, célèbre violiste.

Celle de l'ensemble Musica reservata (Sandrah Silvio en est la fondatrice et directrice) , groupe vénézuélien formé en 1993, a un style nettement oriental (arabo-andalou)

enfin, celle de QNTAL, groupe allemand de musique gothique-médiéval, sensiblement plus libre de part l'utilisation d'instruments électroniques.

Paroles : paroles_Qntal_ad_mortem__1_

Conclusion :
L’ARRANGEMENT : Les groupes d’interprètes de la musique du Moyen âge se basent sur l’iconographie et les documents conservés pour créer l’accompagnement de leurs chants. Le choix des instruments, le moment où ils interviennent (intro, accompagnement, conclusion) est personnel à chaque groupe mais s’appuie sur la tradition orale conservée pour les mélodies.
L’INTERPRETATION : Comme on peut le voir dans les différentes versions, chaque groupe peut choisir différentes options de disposition dans le temps et l'espace (chœur, groupes de voix égales ou mixtes, solos) pour organiser ses interventions selon les parties et la forme de l’œuvre.

Un autre type de chanson du Moyen âge, chant de trouvère (profane), viendra clore les comparaisons. Il s'agit de la chanson "Sire cuens j'ai viélé" de Colin Muset (qui serait né en 1210, au XIIIe siècle) qu'Adam de la halle utilisa dans "Le Jeu de Robin et Marion" ici interprétée par l'ensemble partisien Ars Antiqua. 

Documents : Ad_mortem_festinamus_fiche_prof ; Ad_mortem_texte ; EVALUATION_prof_5e
Fiche_eleve_ad_mortem_festinamus ; EVALUATION_eleve_5e__1_

D_roulement_s_quence (vous trouverez dans ce fichier les éléments de réponse pour la fiche élève en ce qui concerne les comparaisons des versions du chant).

Fiche synthèse : synthese_5seqII_noir_et_blanc
Fiche auto-évaluation : Auto_evaluation_5s2

Comments

[Madame Musique]

Merci beaucoup Renan, au regard de l'Histoire des arts, nous avons aussi abordé brièvement l'évolution de l'architecture (art roman, art gothique) en rapport avec le passage de la monodie à la polyphonie, et les différents cultes à l'intérieur d'une même religion (le culte marial). Le texte du chant est particulièrement intéressant puisqu'il peut être comparé au thème de la vanité en art.

[R.P]

Bravo pour votre blog. Amateur de musiques anciennes et professeur d'histoire je voulais faire un cours sur ce sujet, j'ai cherché sur le net et ai trouvé votre travail. J'adore votre approche, les thèmes choisis et en plus les comparaisons sont claires. Je m'en inspirerai pour aborder quelques thèmes durant mon cours de cinquième. Merci.

Renan Picart.