3e : Musique, intention et mémoire (Hiroshima, Thrène, Penderecki)
Lors de cette séquence, nous allons aborder le thème de la guerre à travers la tragédie d’Hiroshima, un sujet qui peut être mis en relation avec l’Histoire et les Lettres.
J’ai choisi un objet d’étude qui peut paraître vague : Comment exprimer musicalement l’inexprimable ? mais j'ai pensé à la phrase de Vladimir Jankélévitch : « Seule la musique peut exprimer l’inexprimable : elle est le logos du silence. »
Nous aborderons l’œuvre principale par les domaines du Timbre et de l’Espace, et de la Dynamique.
L’œuvre étudiée peut être considérée comme une œuvre engagée, un témoignage musical des sentiments du compositeur face à un événement historique, un plaidoyer pour la paix, un désir de commémoration ou un avertissement laissé aux générations futures.
A propos d’Hiroshima : Les bombardements atomiques de Hiroshima et Nagasaki par les Etats-Unis ont eu lieu les 6 et 9 août 1945 après que les dirigeants japonais eurent rejeté les conditions de l'ultimatum de Potsdam. La Seconde Guerre mondiale se conclut officiellement moins d'un mois plus tard par la signature de l'acte de capitulation du Japon le 2 septembre 1945. Ce sont les seuls bombardements nucléaires ayant jamais eu lieu. On estime le nombre de décès entre 40 000 et 250 000 personnes, selon diverses sources, causés par l'explosion, la chaleur, et l'incendie consécutif, puis par la suite en raison de divers types de cancers (334 cancers et 231 leucémies) et de pathologies.
Les justifications des bombardements ont été le sujet de nombreux débats et controverses. Pour les opposants, ces bombardements, qui ont surtout tué des civils, ont été inutiles et sont des crimes de guerre, alors que pour les partisans de la décision, ils ont raccourci la guerre de plusieurs mois en provoquant la reddition du Japon et ont donc sauvé la vie de centaines de milliers de soldats américains, ainsi que de civils et de prisonniers sur le territoire de la sphère de coprospérité de la grande Asie orientale.
Les survivants des explosions, les hibakusha, sont devenus le symbole d'une lutte contre la guerre et les armes atomiques à travers le monde. Mais au Japon, ils n'étaient pas reconnus comme survivants et ont été laissés à leur sort, car les explosions de Hiroshima et de Nagasaki ont longtemps été un sujet tabou.
Fiche contexte : Contexte_historique_culturel
Projet musical : La Java des bombes atomiques de Boris Vian (artiste français, 1920-1959) composée en 1954.
La chanson est composée dans le style de la Java (issue du répertoire de la musette, la Java est une sorte de valse rapide au rythme caractéristique - croche pointée double et triolet).
Elle se situe dans le contexte de la Guerre froide USA-URSS : Appel de Stokholm – Mars 1950 (pétition pour l’interdiction de l’utilisation de l’arme nucléaire à l’initiative du Mouvement pour la paix – Picasso et le savant atomiste Frédéric Joliot-Curie en font partie).
"Nous exigeons l'interdiction absolue de l'arme atomique, arme d'épouvante et d'extermination massive des populations. Nous exigeons l'établissement d'un rigoureux contrôle international pour assurer l'application de cette mesure d'interdiction. Nous considérons que le gouvernement qui, le premier, utiliserait, contre n'importe quel pays, l'arme atomique, commettrait un crime contre l'humanité et serait à traiter comme criminel de guerre. Nous appelons tous les hommes de bonne volonté dans le monde à signer cet appel".
Pendant la guerre froide, l'art et les médias sont utilisés pour mobiliser les esprits. Au début des années 1950, l'URSS et les communistes se présentent comme le camp de la paix par opposition aux Américains qui travaillent à la mise au point de la bombe H. Le PCF développe ainsi en 1949, une campagne pacifiste utilisant une colombe dessinée par Picasso. Un homme politique français, Jean-Paul David, à la tête de l'agence « Paix et liberté » organise alors une contre-campagne qui utilise les thèmes et les images communistes en les détournant. Le site dédié à Boris Vian. Boris Vian a maintes fois exprimé dans ses textes de chansons son antimilitarisme (Le déserteur, A tous les enfants,...).
Les élèves chanteront en 2 groupes, en se répondant (une phrase sur deux) avec un play-back que l'on peut obtenir sur beezik.
Fiche de la chanson : La_Java_des_bombes_atomiques_B
OEUVRE DE REFERENCE : Thrène à la mémoire des victimes d’Hiroshima : œuvre pour ensemble de 52 cordes composée en 1960 par Kryzstof Penderecki, compositeur polonais de la période contemporaine né en 1933 (il y a aussi une page de l'Ircam sur le compositeur).
Une déclaration du compositeur : « La thrène exprime ma conviction la plus ferme que le sacrifice de Hiroshima ne sera jamais oublié ni perdu » (Penderecki).
Après une première écoute globale, j’ai choisi de découper l’œuvre en 3 extraits afin que les élèves repèrent plus facilement ce que je veux leur montrer. J’ai donc présenté le travail sous forme de petits modules dans lesquels l’élève doit choisir la réponse qui lui semble la plus adéquate. Ainsi nous découvrirons cette œuvre complexe par petites touches concernant tour à tour les notions de registre, de dynamique, d’organisation spatiale (mouvements mélodiques) et temporelle (ordre des événements sonores) du son.
Une video nous permettra aussi de visionner la partition animée.
Le premier extrait se présente sous la forme de clusters de sons qui vont apparaître les uns après les autres à des hauteurs différentes, faisant entendre des dissonances. Le temps étant mesuré en secondes, et la partition étant dépourvue de portées, on peut en déduire que Penderecki a inventé son propre système de notation, la seule indication étant celle des nuances habituellement employées. Nous pouvons donc voir de slignes horizontales suivies d'une transformation de celles-ci en oscillation sur deux notes. Dans cette partie les cordes jouent avec l'archet (Arco) et utilisent deux modes de jeu : le tremolo et le vibrato.
Le deuxième extrait est axé sur des modes de jeu de plus en plus diversifiés tandis que l'oscillation se poursuit qui vont donner une impression de chaos, de désordre. On y trouve l'emploi du pizzicato, et l'indication col legno et legno battuto (action de frapper la baguette de l'archet sur les cordes). On a l'impression que quelqu'un a marché dans une fourmillière, cela produit une impression de course, de panique (dixit mes élèves avisés). Au niveau du déroulement temporel, on verra la notion de tuilage (enchaînement de phrases qui se chevauchent).
Le troisième extrait sera l'occasion de revoir l'emploi du glissando (effet de sirènes) et la notion d'entrées successives des voix et de mouvements mélodiques.
Les fiches : audition_extrait_1prof; audition_extrait_2_prof;
audition_extrait_1eleve; audition_extrait_2_eleve
ECOUTES COMPARATIVES :
Nous allons d'abord comparer cette oeuvre à la musique de Bernard Herrmann (compositeur américain, 1911-1975) composée pour le film « Psychose » d’Alfred Hitchcock (cinéaste américain, 1899-1980), tourné en 1960.
Les élèves compareront les extraits des œuvres sous forme d’un tableau à remplir et devront ensuite rédiger un résumé de leurs observations dont nous ferons la correction ensemble.
Dans cet extrait nous retrouvons l'emploi d'instruments à cordes frottées, des contrastes brusques de dynamique et de registre, une atmosphère de panique, de terreur, accentuée par de nombreuses dissonances. A noter que les sons sont énoncés de façon stridente et écourtée de l'aigu au grave, en décalage, évoquant une chute. Comme chez Penderecki, il n'y a pas vraiment de mélodie, plutôt de courts motifs, mais pas de clusters ici. De plus, étant en présence d'un extrait de film, nous avons aussi les bruitages de la scène qui se superposent à la musique.
Nous comparerons aussi avec un extrait d’une autre oeuvre contemporaine intitulée “Voiceless Voice in Hiroshima” (œuvre composée en 1989 et retouchée en 2000) du compositeur japonais de musique contemporaine Toshio Hosokawa, né à Hiroshima au Japon en 1955 qui vit en Allemagne. L’extrait est intitulé « Preludio-Night ».
"De même que la musique silencieuse rend toute chose riche et profonde, je veux rendre présentes les voix [voice]des victimes muettes [voiceless] d'Hiroshima et de notre nature privée de voix {voiceless » (citation de T. Hosokawa, 2000). Cette œuvre rend leur voix aux « sans-voix » d’Hiroshima, elle est à la fois un témoignage et une réparation (allusion à la censure qui s’abattit sur les victimes quasiment privées de visibilité pendant une cinquantaine d’années).
Une œuvre tout aussi impressionnante et inquiétante que celle de Penderecki, à la différence de l’utilisation de tous les timbres de l’orchestre et d’une construction encore plus morcelée (introduction de nombreux petits silences) des épisodes sonores. On y retrouve les clusters, les dissonances, des contrastes saisissants, certains modes de jeux instrumentaux entendus chez penderecki, mais aussi l'emploi de nombreuses tenues jouées en crescendos progressifs alternées à des sons brefs et percussifs qui produisent des sensations similaires).
Les fiches : comparaison_1_prof; comparaison_2_prof; Fiche_prof_comparaisons;
Fiche_eleve_comparaisons
Histoire des arts : quelques œuvres plastiques autour du thème de la bombe et d’Hiroshima.
Ci-dessus le tableau "Hiroshima-Anthropométrie" peint par Yves Klein en 1961 (pigment, résine sur papier sur toile (139,5x 280,5 cm), Houston. Avec Hiroshima, Klein rend hommage à sa façon aux victimes du bombardement. Il évoque l’empreinte des corps brulés sur les murs de la ville.
Il vaporise de la peinture sur les corps des modèles nus placés devant la toile (empreintes, traces), pour faire apparaître leurs silhouettes en négatif. Klein a déclaré avoir été directement inspiré par les poignantes «ombres d'Hiroshima», laissées sur les murs de la ville par des corps que l'explosion atomique a désintégrés... Il était fasciné par le vide et sa démarche artistique consistait a trouver et faire partager l'immatériel.
Ci-dessous une photo prise à Hiroshima : Les ombres des corps projetées par la vitesse et le souffle brûlant de l’explosion de la bombe « A ».
Atomica Melancolia (1945, peint en Californie) de Salvador Dali.
« Je considère l’amour comme l’unique attitude digne de la vie de l’homme » (Salvador Dali, peintre espagnol surréaliste – 1904-1989). - Dali commence à travailler à sa toile en 1945, c’est la première réaction picturale peu après le bombardement atomique d’Hiroshima. - C’est une peinture à l’huile. - La toile mesure 60cm de longueur sur 40cm de largeur. -
L’oeuvre appartient à la collection du Théâtre-Musée Dali de Figueras (Espagne). Elle figure également dans le hall d’entrée du Musée d’Art contemporain d’Hiroshima.
Sur le visage on peut voir l’ombre d’un avion, en bas à droite l’on voit un incendie, divers objets font référence au chaos, à la destruction, à la souffrance des corps.
Bombe atomique (Andy Warhol, peintre américain) réalisé en 1965. (Encre sérigraphique et acrylique sur toile. 264,1 cm X 204,5 cm).
«La sérialité du Pop n’est pas uniquement une traduction de la production de masse, mais aussi celle de la réaction en chaîne de l’explosion atomique, l’image d’un monde décomposable à l’infini par la fission nucléaire.» (Nicolas Bourriaud, critique).
Dans la série des innombrables morts et désastres qui envahissent l'oeuvre d'Andy Warhol (1928-1987) au début des années 1960, l'unique Bombe atomique (collection Saatchi, Londres), réalisée en 1965, occupe une place particulière.
Son traitement, cependant, ne diffère en rien de celui par lequel Warhol traite l'ensemble de ses sujets. Sur un fond rouge éclatant, l'image de l'explosion est répétée jusqu'à la nausée pour le spectateur sur toute la surface de la toile. Si l'on suit le sens de lecture occidental, la définition de la sérigraphie de la bombe atomique s'amenuise progressivement, et Warhol profite de l'accumulation de l'encre sur l'écran sérigraphique pour souligner la désintégration du champignon atomique. Jamais, sans doute, le procédé sérigraphique employé par Warhol n'a été si proche de son sujet. Vingt ans exactement après Hiroshima, tandis que la guerre froide persiste, l'évocation de la mort massive, globale et définitive de l'humanité était en mesure de terroriser les esprits. Warhol, toutefois, l'intègre au flot d'événements strictement contemporains – qu'ils soient exceptionnels (l'assassinat de Kennedy) ou banals (le suicide d'une actrice) – qui font le quotidien de son temps. « Quand vous voyez une image violente sans arrêt », se plaisait-il à déclarer, « elle ne fait plus vraiment aucun effet ». Si elle ne peut être qu'un unique événement, l'autodestruction de l'humanité n'en est ainsi pas moins réduite à ce qu'elle est : une banalité tragique de plus vis-à-vis de laquelle le monde est insensibilisé. (Hervé VANEL).
Un nouveau style de danse : le Buto japonais.
Danse née au Japon dans les années 60, surnommée « danse du corps obscur » ou « danse des ténèbres » en réaction aux traumatismes laissés par la seconde Guerre mondiale, elle fut fondée par Tatsumi Hijikata (1928-1986).
Bu signifie « danser » et tô « taper au sol ». Le butō s’inspira des avant-gardes artistiques européennes (parmi lesquelles l'expressionnisme allemand, le surréalisme, la littérature des écrivains maudits d'Occident – Artaud, Lautréamont, Genêt, etc.)
La bombe fut un coup de butoir pour se remémorer la douleur ou pour tenter de répondre à la question :
comment peut-on encore danser après l’horreur d’Hiroshima ?
La danse est imprégnée de Bouddhisme et des croyances shintô. Elle sonde les instances de son esprit, sa relation au cosmos et l'inscription de son être au coeur de l'univers. Les sujets abordent des problématiques universelles.
Elle se caractérise par sa lenteur, sa poésie et son minimalisme. Le corps est presque nu, peint en blanc, le crâne des danseurs rasé, les mouvements sont extrêmements lents, les jambes arquées, le corps recroquevillé, les mains font des gestes très expressifs et expriment la souffrance, la mort mais aussi la renaissance, la bouche forme souvent un cri muet. Le maquillage et les costumes masquent le genre du danseur jusqu’à le rendre asexué.
Comme le dadaïsme et le surréalisme après la première guerre mondiale, après la guerre les artistes se demandent comment renouveler l’art japonais, rejetant l’influence américaine autant que les traditions artistiques japonaises. L’artiste recherche une communication directe avec le public, la non-séparation du corps symbolique et du corps réel. Des exemples ici et là.
(KAGEMI : SANKAI JUKU)
Enfin un article très intéressant et bien dicumenté sur le Buto.
Les fiches HDA : Histoire_des_arts_oeuvres_autour_d_Hiroshima; Histoire_des_arts_2_le_buto
Une évaluation vérifiera si les notions étudiées sont acquises (dynamique, réutilisation du vocabulaire sur un extrait connu, puis une musique inconnue).
Evaluation_Penderecki
D'autre part la fiche technique de l'oeuvre assortie d'une sitographie devra être remplie en autonomie.
Questionnaire_Penderecki; sitographie_lexique
La fiche synthèse de cette séquence : synthese_seq_III ;
et la fiche auto-évaluation : Auto_evaluation_3s3