4e : Musique et Arts du langage (Le lied - Le Roi des Aulnes - Schubert)
Dans cette séquence nous étudions deux façons très différentes d'aborder les arts du langage. Notre attention va se porter sur les changements d'intonation requis pour interpréter un texte lorsqu'il met en scène plusieurs personnages, ainsi que sur la forme que l'on peut adopter pour servir le texte au mieux.
Les domaines abordés sont la Dynamique (modes d'émission vocale) et la Forme (strophique ou rondo varié, rôle des ponts).
Il s'agit de mémoriser des constantes musicales, d'identifier les évolutions et les ruptures d'une époque à l'autre.
La première écoute est un Lied de Franz Schubert, compositeur autrichien né en 1797 et mort en 1828 : Erlkönig (ou le Roi des Aulnes). Il en a composé un très grand nombre.
L'oeuvre date de 1815, elle est composée sur un poème du même nom de Johann Wolfgang von Goethe daté de 1782, auteur allemand dont les musiciens ont plus d'une fois emprunté les oeuvres. L'Erlkönig est un personnage représenté dans de nombreux poèmes et ballades allemands comme une créature maléfique qui hante les forêts et entraîne les voyageurs vers leur mort. Le nom serait issu du mot danois Ellerkonge (Roi des elfes). Les aulnes sont par ailleurs considérés comme le symbole de la vie après la mort dans l’antiquité gréco-romaine mais dans les mythologies du Nord c’est un arbre funeste qui pleure des gouttes de sang lorsqu’on menace de l’abattre).
Le poème met en scène un père et son enfant qui traversent à cheval un bois d'aulnes dans la nuit. L'enfant aperçoit une créature surnaturelle, le Roi des Aulnes, qui s'adresse à lui et cherche à l'attirer puis devient menaçant. Il se plaint à son père, qui le rassure car lui ne voit ni n'entend rien. Il fait nuit, le vent souffle, peut-être a-t-il des hallucinations? Malgré ses appels au secours, à la fin de l'histoire l'enfant meurt dans les bras de son père.
3 personnages principaux ainsi que le narrateur s'alternent de façon très naturelle, car assez irrégulière. Le piano joue un motif dans sa partie grave : une gamme mineure ascendante sur un ambitus de sixte qui se termine par un arpège descendant détaché, et dans sa partie aiguë de rapides triolets sur des octaves répétés en tremolos soutenus .
Cet accompagnement figuraliste suggère le décor, aussi bien les éléments naturels que le galop du cheval. Il fait ressentir à la fois le danger et l'inquiétude. Le caractère fébrile change lorsque le Roi des Aulnes, de sa voix suave, incite l'enfant à venir à lui, accentué par le passage en mode majeur. Les registres de voix, les intonations, les changements de nuance apparentent cette oeuvre au style narratif, et d'ailleurs le narrateur intervient au début et à la fin du Lied, avec un ralentissement qui souligne la gravité de la situation.
Après avoir demandé aux élèves de colorer différemment sur le texte les différents personnages, ils devront définir la nuance, le caractère, le registre et la tonalité employés pour représenter chacun d'entre eux, puis nous allons nous-mêmes interpréter des extraits en adaptant notre intonation au personnage évoqué, que les élèves tireront au sort. Cette année je ne leur aurai rien épargné : en même temps, eux non plus, soyons clairs :D
Voici une des meilleures interprétations de l'oeuvre par le baryton Dietrich Fischer-Dieskau.
Observez les changements d'expression de son visage...
Celle de Jessye Norman n'est pas mal du tout non plus.
En chinant sur l'internet, j'ai trouvé une version moderne du Roi des Aulnes dans un style très éloigné de Schubert, le Metal industriel. C'est un titre qui figure sur le 4ème album du groupe Rammstein sorti en 2004 intitulé Reise, Reise sur le thème du voyage, et le titre de la chanson est Dalai Lama. La pochette représente la boîte noire endommagée d'un avion, et de fait, dans cette version la scène se passe dans un avion et le Roi des Aulnes se transpose en Roi du Ciel. Rammstein fait allusion au krash d'un Boeing 747 japonais (japan Airlines flight 123) en Août 1985.
Je laisse les élèves faire une comparaison en autonomie à partir de 3 questions : ressemblance, différences, description des éléments musicaux en les comparant à ceux employés par Schubert puis nous mettons toutes nos trouvailles en commun.
Rammstein donne une nouvelle interprétation, très personnelle, du texte de Goethe, qui présente une référence aux mythes, celui d'Icare et de Prométhée, par rapport à la croyance de l'homme qu'il peut maîtriser les éléments, et que les caprices de la nature le trouvent souvent démuni. Il y a donc aussi une allusion à une punition divine pour avoir voulu voler trop près du soleil. Le titre, mystérieux, pourrait faire allusion à l'enfant élu (le Panchen Lama) en tant qu'héritier du Dalai Lama qui fut enlevé et que l'on n' a jamais retrouvé.
Musicalement, la voix , sur un ambitus assez étroit, se transforme selon les personnages, et divers effets électroniques lui sont appliqués. On retrouve bien sûr la voix gutturale, très grave, des chanteurs de métal. il y a un air de musique pentatonique dans l'accompagnement dans lequel les sons graves rendent l'ambiance pesante. Des riffs instrumentaux (une seconde mineure suivie d'une quinte, toutes deux descendantes, parfois assortie d'une quarte diminuée) symbolisent peut-être l'altitude à laquelle l'histoire se déroule. Il y a aussi de petits arpèges mineurs descendants qui se déplacent sur une faible amplitude.
Projet musical : La chanson Ces gens-là de Jacques Brel. Nous visionnons la video de l'interprétation de Brel. La forme est strophique, c'est un véritable tableau musical, en mode mineur, avec un rythme répétitif. La basse joue une note allongée suivie d'une note courte qui donne l'impression d'un pas traînant. Nous observons que Brel bouge très peu, son visage et ses mains prennent tout le champ lorsqu'ils s'animent, son regard est fixe et sa mâchoire reste souvent pendante, pour nous décrire une famille belge tout ce qu'il y a de plus craignos.
A chaque nouveau personnage la gestuelle évolue mais ce sont surtout les mains qui parlent. Il ne les fréquente que parce qu'il est amoureux de la fille. Lorsqu'il se prend à rêver qu'ils partiront ensemble un jour, sa voix s'envole et enfle, mais bien vite le ton retombe, et l'on ressent la lourdeur à nouveau. Le chant est parfois à la limite de la parole dans cette chanson, ce qui accentue son aspect théâtral.
A la fin de la chanson, les élèves sont scotchés. C'est quelque chose quand même..Une voix idiote dans la classe a le malheur de dire "il a un gros nez"...et plusieurs élèves s'insurgent "Un peu de respect! en plus il est mort"...le courant est passé et j'en suis vraiment heureuse. It made my day.
2ème chanson : Le congrès des chérubins, de Juliette, extraite de l'album Mutatis Mutandis, son 5ème album(2005). La chanson est follement drôle, elle réunit divers angelots dans une chapelle florentine, qui expriment leurs doléances, elle change donc d'intonation à chaque personnage, elle aussi, et même d'accent! Les couplets sont plutôt dans le style savant, mais le refrain complètement déjanté, est franchement latino et dansant. De plus, les réflexions en aparté des chérubins sont rigolotes comme tout, et les mimiques de la chanteuse irrésistibles. Cela va demander un gros travail d'articulation, de précision rythmique et de justesse mais on va bien s'amuser.
En guise de contrôle, les élèves découvrent la 11ème récitation de Georges Aperghis interprétée par Martine Viard. Vous pouvez l'écouter sur le site d'Aperghis. Aperghis est un compositeur grec né en 1945, qui réside en France depuis 1963. Il a fait de nombreuses recherches pour réaliser un théâtre musical, dans lequel il explore le rapport texte/musique et aussi la mise en scène. Dans cette récitation, la voix interprète une multitude de personnages en enchaînant très rapidement les différentes intonations, avec de nombreuses répétitions en escargot, ce qui nous donne l'impression d'être dans une pièce lors d'un cocktail, et d'entendre un brouhaha de conversations. C'est une pièce de virtuosité. Les élèves doivent répondre à une série de questions en autonomie puis rédiger un résumé à partir de leurs observations (y compris en ce qui concerne la notation graphique).
La fiche de synthèse et la prévision de déroulement de cette séquence.