3e : Musique et Arts du langage (Chansons engagées)

Dernière séquence avant l'épreuve orale d'Histoire des arts au Brevet. Mes élèves étant très irréguliers face à la préparation de cette épreuve, j'essaie de booster les âmes égarées avec un cours présenté sous une forme moins académique (du moins je l'espère). J'ai préparé une présentation PowerPoint que je projette au tableau, sur laquelle ils ont le cours, les fichiers sons, l'iconographie, les paroles, l'analyse et des consignes d'exposé oral réunies. Elles ont été postées dans le cahier de textes numérique. C'est que je suis de jury au Bac option facultative toute la semaine précédente.

Je me propose de faire écouter 4 chansons du XXème siècle, dites "engagées". Après une définition du genre de la chanson, nous déterminons les caractéristiques d'une chanson engagée. Quel est sa fonction, son but ? En quoi se différencie-t-elle des autres chansons? Quels sujets aborde-t-elle ? Si le texte peut témoigner, dénoncer, engager à la lutte, en quoi la musique joue-t-elle un rôle dans la communication au public, quels paramètres utiliser de façon adéquate pour aider à marquer les esprits? A quelles occasions peut-on chanter ces chants ?

Pour l'étude approfondie de ces chansons, il faut aborder le contexte de composition, la portée, les transformations qu'elle a pu subir ultérieurement, et passer à l'analyse complète du rapport texte-musique.

1ère écoute : Bella Ciao, interprétée par Zebda (groupe français engagé né dans les années 90). Cette chanson a été interprétée dans de multiples versions, dans toutes les langues.
Vous avez sur cette page la partition et les paroles.
Cette chanson est très ancienne (peut-être le VIIe siècle), elle dénonce les piètres conditions de travail des mondine, femmes qui travaillaient dans les rizières de la plaine du Pô). Le terme "ciao" viendrait d'une déformation du mot "schiavo" qui signifie esclave en italien. Plus tard, elle devint le chant des partisans italiens lors de la 2ne guerre mondiale. Aujourd'hui on la chante dans presque toutes les manifestations, puisque c'est un chant protestataire.
Au point de vue musical, elle présente un caractère contrasté et dynamique. C'est une marche dont le tempo est rapide, la mesure est à 2 temps, elle commence par une anacrouse et les premiers temps sont fortement accentués. Le mode mineur rappelle que le sujet abordé est grave, la mélodie a un ambitus assez large, avec une répétition de note sur les mots Bella ciao qui attire l'attention, l'accompagnement est basé sur les accords du Blues (degrés I-IV-V) avec une "pompe" alternant la tonique et la dominante qui se transpose, ce qui lui donne un caractère populaire, facile à interpréter par tous et efficace. Le choeur chante à l'unisson, accompagné par des guitares, un accordéon, une clarinette, donc des instruments également populaires. Sa forme est strophique (il n'y a pas de refrain et chaque strophe a le même air donc facilement mémorisable). Certaines fois le texte est modifié selon les circonstances de l'interprétation, ce qui en fait un timbre. Dans la version de Zebda, des riffs entre les couplets apportent une couleur tzigane à la chanson.

2ème écoute : A tous les enfants de Boris Vian. Ce chanteur français, né en 1920 et mort en 1959, s'est fréquement engagé contre la guerre dans ses chansons. Cetle-ci  fut composée entre la guerre d'Indochine et la guerre d'Algérie, en 1954-55. Boris Vian était profondément choqué par l'attitude des gouvernements qui envoient de très jeunes hommes au combat et s'enrichissent parallèlement du commerce des armes. La chanson a été composée à la même période que le Déserteur, plus célèbre, ce qui l'a faite passer pratiquement sous silence. Pourtant le texte en est aussi violemment contestataire et accusateur.
Au point de vue du texte, la chanson se sépare en deux parties principales, dans la première Vian fait hommage à ceux qui sont morts, sur un mode poétique et tragique, dans la deuxième le poète exprime sa colère avec véhémence vis-à-vis des puissants ainsi que la violence que cela génère en lui.
Dans la musique, on retrouve nettement ces deux parties : Elles sont basées sur la même mélodie et le même rythme, mais tout est dans l'interprétation. Le texte est mis en valeur. Le tempo est modéré, la mesure à 4 temps. la mélodie , constituée de groupes de notes conjointes qui se transposent en modulant vers l'aigu tournoie jusqu'au vertige puis redescend de la même façon vers le grave, sur une marche harmonique. Dans la 2ème partie, le tempo accélère, l'intensité augmente.
On croit y entendre comme une citation lointaine de la 5ème symphonie de Beethoven (le motif du destin sur une tierce mineure). Certains mots sont dramatisés comme "tache de sang", mais si vous prononcez le texte en entier, vous ressentirez (je ne suis pas spécialiste) le jeu des sonorités fortes (souffrances, griffes, coup de feu), l'importance des "s" et des "f" qui évoquent les combats. Si l'on rentre un peu dans la chanson, elle ne peut pas laisser insensible.
Dans cette chanson nous retrouvons un accompagnement au piano et à l'accordéon, sonorité lointaine et nostalgique.
J'ai choisi l'interprétation de Francesca Solleville (Album "En tournée au Japon"), trouvée sur deezer, qui est ma préférée mais celle de Joan Baez est également magnifique (dédiée aux enfants de la Shoah).

3ème écoute : Ohio, une protest song de Neil Young (auteur-compositeur-interprète canadien né en 1945, pur héritier de Leonard Cohen et de Bob Dylan), composée en 1970 après la tuerie sur le campus de Kent, dans l'état d'Ohio. Lors d'une manifestation pacifique des étudiants pour exprimer leur désapprobation face à la guerre engagée au Vietnam,  la police ("les soldats de plomb de Nixon") tira sur la foule, tuant quatre jeunes gens ("Four dead").
La photo d'une jeune femme choquée près du corps sans vie de son compagnon parue dans le magazine Life  bouleversa le chanteur et il enregistra la nuit même cette chanson protestataire.

Voilà pour le contexte. Pour ce qui est de la musique, elle est très concise et percutante. Le tempo est relativement stable, c'est la répétition de la même cellule qui va permettre d'accentuer la tension à la fin de la chanson. La mesure est à 4 temps, la mélodie débute sur une anacrouse dans le couplet. L'ambitus se déploie sur un quinte tout au plus, avec de faux airs de Dies Irae. L'accompagnement, succint, est assuré par 4 guitares et harmonicas, et le quatuor de voix du groupe de folk country Crosby, Stills, Nash & Young chante en polyphonie . Il y a deux accords sur le couplet, et 2 sur le refrain, joués en alternance. Des solos font le lien lorsqu'il n'y a pas de paroles, ou en contrechant.
Dans le 2ème couplet, le quatuor chante sur "nanana" au lieu des paroles. La chanson se termine sur le couplet, répétant ad libitum les mots "Four dead in Ohio" entrecoupés d'exclamations criées "Why, how many, etc" qui traduisent les sentiments du public face à ces crimes injustifiés et inutiles. D'autre part la voix nasillarde de Neil Young, très expressive, est ici encore plus émouvante que d'habitude.
La chanson fut bien évidemment censurée car elle mettait clairement le président Nixon en accusation. Elle fit cependant son chemin dans certains états des Etats-Unis, puis traversa l'Atlantique.

4ème écoute : Hasta Siempre, chanson composée en 1965 par Carlos Puebla (compositeur cubain, 1917-1989 considéré dans les années 60 comme le chanteur de la révolution cubaine de 1959). Encore une chanson dont les versions sont très nombreuses, et chantées dans différentes circonstances. Dédiée au commandant Che Guevara (1928-1967, révolutionnaire marxiste et internationaliste, qui dirigea la guerilla cubaine et fut exécuté par l'armée bolivienne). Le titre de la chanson fait allusion au slogan Hasta la victoria siempre (La victoire pour toi pour toujours).
J'ai retenu  l'interprétation de Natalie Cardone (chanteuse française née en 1967, la chanson ayant été enregistrée en 1997), qui a toujours beaucoup de succès auprès des élèves, mais nous avons aussi écouté la version de Compay Secundo (1907-2003) avec le Buena Vista Social Club.
Le caractère de cette chanson est à la fois grave et dramatique, mais aussi combatif et entraînant. Un riff de guitare introduit la chanson. Son rythme est modéré puis accélère progressivement, la mesure est à 4 temps, il y a beaucoup de syncopes typiques du style latino américain, la percussion qui arrive seule vers le 3e couplet fait monter la tension et accompagne la chanson jusqu'à la fin. La chanson est construite sur le mode mineur, sur une mélodie en notes conjointes qui fait ressortir la quarte ascendante sur les mots "de tu querida presencia".. d'autant plus fortement. La voix de femme, au registre medium est un peu rauque et cela ajoute au caractère populaire. L'accompagnement est composé de guitares, de cordes et de tambours. La nuance est plus douce dans les couplets, très amplifiée dans les refrains avec des effets de choeur. Enfin, la chanteuse parle dans le dernier couplet, annonçant les bribes de discours qui nous font entendre la voix du Che à la toute fin.

Vous trouverez dans les documents les consignes de l'exposé à réaliser en binôme au cours de la séquence.
Une présentation orale pour s'entraîner à l'épreuve orale, outre l'analyse et l'interprétation des chansons choisies.

Cette forme de présentation, qui peut paraître froide au premier abord,  m'a permis de terminer mes cours de 3ème dans de bonnes conditions. En effet, les problèmes de discipline sont devenus tels dans ces classes à 31 élèves (!!) que l'on ne s'entend plus. Même lorsque les élèves ne chahutent pas, qu'ils voudraient participer, ils ne savent plus écouter l'autre, et s'expriment en parlant très fort, en coupant la parole aux autres, y compris leur professeur. C'est tellement dommage, car j'ai tissé des liens forts en 4 ans avec beaucoup d'entre eux et j'aurais tellement voulu donner plus, mais nous sommes systématiquement court-circuités par cette ambiance survoltée. Et puis c'est vite épuisant, alors je me tais quand je n'en peux plus, que j'ai mal à la gorge, mal au ventre, et le coeur qui cogne.
Je vois lors des derniers cours la mine déconfite de ceux qui voudraient en savoir plus, qui lèvent la main, posent des questions intéressantes qui pourraient apporter quelque chose à tous, ne serait-ce que d'échanger. Mais non. On parle à très haute voix de choses qui n'ont rien à voir avec le cours, comme par exemple de la mort de Ben Laden (et encore c'était avant l'affaire DSK), on a des gestes violents comme de tirer brusquement une chaise sous quelqu'un qui s'asseoit, par jeu, on consulte ses sms, et j'en passe. Je vois aussi des élèves qui me demandent si on pourrait rechanter toutes les chansons qui ont marqué leur scolarité au collège, pour le plaisir. Il me reste à espérer que les plus bruyants délaisseront mon cours en fin d'année, et qu'on passera nos derniers moments ensemble dans une ambiance plus sereine. Et on dit que les professeurs excluent certains de leurs élèves. Mais je crois que beaucoup s'excluent eux-mêmes par désintérêt profond. D'ailleurs lorsqu'on me dit "pourquoi tu nes exclus pas" je réponds que d'une, ce n'est pas le but de l'école, et de deux, on n'exclut pas 10 élèves d'une classe. Et là souvent, j'ai une dizaine d'élèves qui mériteraient une sanction pour diverses raisons. Mission impossible.

   Allez, c'est bientôt les vacances.

Comments

[madame musique]

Merci Laure,

on ne les prend pas vierges de toutes traces lorsqu'ils entrent dans nos classes :) Si nous avons nos humeurs ils ont le droit d'avoir les leurs, la difficulté c'est le nombre pour moi.

Oui c'est un beau métier, difficile et surtout peu de reconnaissance pour le travail titanesque que cela représente (y compris ou surtout pendant les vacances).

Mais je ne ferais rien d'autre! :) Bonne continuation.

[Laure]

Bon courage Madame Musique, j'ai eu les larmes au yeux en finissant de lire votre récit sur la musique engagée... On fait pourtant un beau métier !!! mais très difficile à exercer. Bonne chance à vous.

[madame musique]

Merci à vous, bon weekend!

[profespagnol]

rectificatif c'était moi qui écrivais

[profespagnol]

J' ai lu avec intérêt vos fiches et puis je me suis aussi penchée de plus près sur vos notes en bas de page et j' ai eu l' impression que c' était moi qui écrivait tellement ce que vous décrivez avec force détails est authentique

Merci chère collègue