Club écoute: entrée libre 36. Cesaria Evora, ambassadrice du Cap Vert
On ne peut pas évoquer la musique du Cap Vert sans penser à Cesaria Evora. Née en 1941 à Mindelo sur Sao Vicente, elle est surnommée "cize" par les intimes et "la diva aux pieds nus" par ses admirateurs. Fille de musicien, après une enfance difficile, et de nature plutôt anticonformiste, Cesaria suivra un long et difficile chemin avant d'être reconnue à sa juste valeur.
Des rencontres, d'abord. Avec B. Leza, un ami de son père violoniste, Goncalves, qui lui enseigne le chant, Eduardo qui lui permet de chanter à la radio, Isaura, l' amie qui la fera chanter à Lisbonne, en tournée avec l'OMCV, Bana, qui l'emmène aux USA, puis José Da Silva, le producteur qui a confiance en son talent. Et ses participations à des projets avec Lavilliers, Cali, ou Salif Keita.
Cesaria chante dans les bars, les restaurants, la Morna, genre Cap Verdien qui peut être relié au Fado portugais, à la Modinha brésilienne, au Tango argentin, et à la musique angolaise. To mourn veut dire pleurer, mourning signifie deuil. Cesaria chante le spleen, la tristesse, la souffrance, la mélancolie, l'exil, une sorte de Blues Capverdien. L'accompagnent la guitare, instrument roi du pays, le violon, et le cavaquinho,une petite guitare à 4 cordes. Elle chante en créole portugais.
Le succès est arrivé plus tard, au début des années 90. Elle a même obtenu un Grammy Awards en 95 aux USA, après avoir fait salle comble à l'Olympia en 93.
Ecoute "Saudade", l'un de ses plus grands tubes.
Lyrics: "Quem mostra' bo / Ess caminho longe? / Quem mostra' bo / Ess caminho longe? / Ess caminho / Pa São Tomé / Sodade sodade Sodade / Dess nha terra Sao Nicolau / Si bô 'screvê' me / 'M ta 'screvê be / Si bô 'squecê me / 'M ta 'squecê be / Até dia / Qui bô voltà / Sodade sodade Sodade / Dess nha terra Sao Nicolau" ("si tu m'écris, je t'écrirai. Si tu m'oublies, je t'oublierai. Jusqu'au jour de ton retour.)
"...Mes chansons parlent d'épreuves et de nostalgie, d'amour, de politique, et d'immigration, de réalité. Nous chantons notre terre, le soleil, la pluie qui ne vient jamais, la pauvreté et les problèmes. La vie des Cap Verdiens, en somme..."
Mais le Cap Vert, où est-ce? C'est un archipel atlantique, une dizaine d'îles perdues au large du Sénégal, de la Gambie et de la Mauritanie, sur le chemin des Amériques. Un climat chaud et la sécheresse dûe à la déforestation massive). Ce fut une colonie portugaise à partir du XVe siècle. L'archipel était alors inhabité. Au XVIIe siècle le commerce des esclaves lui permit tristement de prospérer. Puis au XIXe siècle l'ouverture des lignes transatlantiques. Mais la pauvreté, la misère dûes à la sécheresse excessive (tempêtes de sable venu du Sahara en hiver) touchent la plupart des habitants. Le pays a accédé à l'indépendance en 1975. Il est constitué de diverses communautés, pour la plupart immigrées.
Les genres musicaux Cap Verdiens. On distingue la Morna, née vers le XVIIIe siècle sur l'île de Boa Vista. Les compositeurs, Tavares, Cardoso et B. Leza ont introduit la langue créole dans les textes et l'ont rendue populaire. Nombre de chansons de Cesaria Evora sont écrites dans ce style. C'est une musique acoustique qui associe harmonieusement la guitare, le violon, et le cavaquinho. Dansée en couple, elle se joue à un tempo lent sur des textes nostalgiques exprimant la "saudade", le regret de l'amour perdu, l'exil et l'espérance du retour; mais on peut aussi trouver des textes plus légers, voire humoristiques.
Le Funana, qui se jouait essentiellement dans l'intérieur de l'île de Santiago, en milieu rural. Ce genre est plus influencé par l'Afrique, ou le Zouk antillais (danse sensuelle). Autrefois musique de bal des villages de l'intérieur, il est entré dans le répertoire. Des groupes comme Bulimondo et Finaçao l'ont réadapté avec des instruments plus modernes, électroniques. Mais au départ, elle était interprétée par le Gaita (bandonéon) et le Ferrino (plaque de fer qu'on gratte avec un couteau).
Un petit exemple:"Pekena Serria Kida" (Batida Funana)
Le Batuque: Issu aussi de l'héritage Africain, avec des percussions, des guitares, et la cimboa (instrument monocorde), et des battements de main accompagnant les chants typiquement féminins. Les danseuses suivent les rythmes frénétiques des percussions en frappant sur un pagne placé entre leurs jambes dans la phase de la chabeta. Puis elles rentrent dans une sorte de transe (le "Torno") en suivant par leur déhanchement des rythmes de plus en plus rapides. Ces chanteuses sont très respectées pour leur art de l'improvisation. Elles animent les fêtes traditionnelles. Cette danse a été interdite à un moment de son histoire (trop suggestive pour les portugais?) en voici un aperçu:
"Batukaderas - ami ku nhos"
La coladeira: elle s'est développée sur l'île de Sao Vicente à partir des années 1930, issue de l'ancienne "toada"; elle est jouée sur des rythmes rapides avec des instruments acoustiques traditionnels (violons, guitares, cavaquinho). Les compositeurs comme Goncalves, Cavaquinho et M. de Novas l'ont popularisée. Cesaria Evora excelle également dans ce style. L'un des thèmes de ce genre est la joie des retrouvailles après une longue absence.
D'autres genres furent introduits par les Européens (comme en Amérique: la Mazurka, la Polka, la Valse, le Quadrille, la Contredanse). Autrefois musiques de salons jouées dans les bals de la haute société, elles se sont popularisées à partir des années 70 par la célèbre violoniste Travadinha. Chez les jeunes, le Zouk et un mélange de traditionnel et de R'n'B a la primeur. Une des artistes la plus connue est Suzanna Lubrano.
Par curiosité, je suis allée voir la relève. J'ai découvert quelques artistes dont j'ignorais l'existence. Mayra Andrade, Lura (coladeira, superbe artiste), Tcheka. Je vous conseille de suivre ces liens.